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Témoignage d'un aidant familial

H. Salavy

6 décembre 2006

Texte d'une intervention devant le conseil général des Bouches du Rhône  à l'occasion de la journée consacrée à la maladie d'Alzheimer en septembre 2006.

Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, bonjour,

J'ai, pendant 9 ans, accompagné mon épouse victime de la maladie d'Alzheimer et j'interviens, aujourd'hui, à la demande de M. le Professeur PONCET.

Si je suis heureux de vous apporter mon témoignage, c'est principalement, pour trois raisons.

1 / La première raison est que, l'expérience que nous avons vécue avec ma pauvre femme, vous permettra, peut-être, de glaner quelques renseignements utiles et, ainsi, d'être mieux informés sur cette maladie.

2/ La deuxième raison, est que ce témoignage, me permet d'exprimer, publiquement, a l'institut de la maladie d'Alzheimer en général et au Professeur Michel PONCET en particulier, toute ma reconnaissance et ma gratitude, pour l'aide qu'ils m'ont apportée, dans cette épreuve.

3/ La troisième raison est que cela me donne l'occasion d'accomplir un devoir de mémoire envers mon épouse décédée.

Je dispose d'une demi-heure pour vous parler de notre histoire. C'est un laps de temps un peu court pour exprimer tout ce que j'aurais  souhaité vous dire. Mais, bien entendu, nous allons faire avec, en nous en tenant à l'essentiel.

Vous allez retrouver dans mon intervention, la plupart des points que M. PONCET a évoqués, précédemment, sur un plan général.

Mais, pour ma part, je vais vous parler d'un cas particulier : notre cas. Il s'agit bien d'une expérience personnelle, de mon propre vécu, de mon propre ressenti, qu'on ne peut évidemment pas généraliser.

D'abord, il faut situer les choses dans le temps.

Haut de la page  Notre histoire s'est déroulée sur une période de neuf années, de 1996 à 2005, année du décès de mon épouse.

Mais ce n'est qu'après coup, qu'il m'a été possible de situer le point de départ. S'il me reste un peu de temps, tout à l'heure, et si cela vous intéresse, je vous dirai un mot des événements qui ont précédé.

Pour Monsieur PONCET, qui a suivi mon épouse sur le plan médical, l'histoire ne commence qu'en septembre 1999, quand nous sommes venus le consulter, à la Timone, pour la première fois.

Alors, pourquoi ce décalage de presque trois années ?

Ici, nous touchons du doigt, la première grande difficulté qui se présente à la famille, dans le cas de cette maladie.

Lorsqu'on se casse un bras ou une jambe, en général, on sait immédiatement, à quoi s'en tenir.

Il n'en est rien pour la maladie d'ALZHEIMER.

Les symptômes apparaissent lentement, progressivement. Rien de spectaculaire, au début.

Bien entendu, on constate des changements par rapport au comportement habituel et on s'en irrite parfois. Ça commence par des pertes de mémoire (oublis, omissions, erreurs de dates et de lieux), des difficultés de compréhension, des inversions de chiffres, des distractions inhabituelles. Puis des objets et des dossiers commencent à disparaître  sans laisser de trace, les communications téléphoniques, tant à l'émission qu'à la réception se mettent à poser problème, les portes de l'appartement ou de la voiture sont laissées grandes ouvertes, des lumières ne sont plus éteintes, des robinets ne sont plus fermés etc. etc.

Mais, au début tout au moins, on met ça sur le compte d'une distraction, d'une fatigue passagère ou bien sur celui des années qui passent…

Plus tard, lorsque les signes deviennent plus évidents ou plus fréquents, on a tendance à adopter la politique de l'autruche.

Les perspectives sont si effrayantes que, consciemment ou pas, on trouve toujours une bonne raison pour renvoyer au lendemain, l'examen sérieux de la situation. Il faut dire que l'entourage, lui non plus, ne pousse pas toujours à la roue. Car, dans cette affaire, on n'est pas seul à décider. Il faut consulter la famille, enfants et proches parents avec toute la discrétion requise et en prenant, souvent des allures de conspirateurs.

Et puis, il y a la présumée malade elle-même. À ce moment là, elle conserve encore une bonne partie de ses facultés intellectuelles. Elle sait très bien que le Professeur PONCET que vous lui proposez de consulter n'est pas n'importe quel médecin ; qu'il dirige un service de neurologie et de neuropsychologie. Comme elle est d'une intelligence au-dessus de la moyenne il est difficile de lui faire passer les vessies pour des lanternes.

Et la question lancinante se pose sans arrêt. Et si nous étions dans l'erreur ? S'il ne s'agissait pas de la maladie ? Ne va-t-on pas risquer de l'affoler pour rien ? D'aggraver encore les dysfonctionnements que l'on constate ?

Certes, on a recours au médecin de famille. Mais lui-même hésite à se prononcer. Pour des raisons psychologiques, il a plutôt tendance à rassurer, donc à minimiser les symptômes.

Oui, prendre une décision, représente  une énorme difficulté.

Mais il est nécessaire de le faire le plus rapidement possible.

En effet, si en l'état actuel des connaissances, la maladie ne peut pas être vaincue, certains médicaments peuvent retarder le processus et procurer un meilleur confort de vie au malade et à son entourage. Et, croyez moi, ce n'est pas à négliger !

Cet obstacle franchi, le médecin prend les choses en mains. Ses entretiens avec le malade et son entourage, les investigations qu'il fait lui-même et qu'il fait réaliser par des collaborateurs spécialisés, lui permettent peu à peu, d'établir et de préciser son diagnostic. Il faut plusieurs consultations et un certain délai, pour que la suspicion de maladie, se transforme en quasi certitude.

Même si ça fait très mal, j'estime que l'aidant familial a tout intérêt à s'informer, aussi complètement que possible, de ce qui va se passer dans les mois et les années à venir. Cela lui permettra de mieux se préparer aux épreuves que le malade et lui vont devoir affronter.

Personnellement, j'ai demandé au médecin de ne rien me cacher. Ce qu'il a fait avec délicatesse et beaucoup d'humanité, mais de façon parfaitement claire. Les informations que M. PONCET m'a fournies dans le cadre hospitalier, ont été précisées et complétées, hors consultation, lors d'un entretien qu'il m'a accordé, à la permanence de l'Institut de la maladie d'Alzheimer. À cette occasion, il m'a remis de la documentation et m'a prodigué d'utiles conseils, dont j'ai tiré le plus grand profit.

Je reviendrai, tout à l'heure, sur ce point, qui me parait très important.

Évidemment, cette prise de conscience n'est pas indolore. Lorsque vous réalisez ce qui vous attend, c'est un peu, comme si le ciel vous tombait sur la tête ! Mais, d'un autre côté, c'est indispensable pour affronter les difficultés dans les conditions les moins mauvaises possibles.

Je ne sais pas s'il est utile d'entrer dans le détail de ces difficultés et, même, si le temps imparti le permet, mais, globalement, j'en ai discerné deux catégories principales.

Haut de la page  Les difficultés d'ordre psychologique

Ma femme était une intellectuelle cultivée possédant une grande vivacité d'esprit. Elle avait exercé une activité professionnelle de haut niveau et, après son départ à la retraite, avait mis ses talents à la disposition du monde associatif. Cette activité bénévole s'est prolongée pendant plus de dix ans, avant que les atteintes de la maladie, ne lui permettent plus de continuer dans de bonnes conditions. Dans le même temps c'était notre « grillon du foyer ». Elle s'occupait de tout, elle veillait à tout, elle organisait tout. Bien entendu, je l'aidais autant que je le pouvais, mais, bien souvent, c'était dans un rôle d'exécutant. Disons le honnêtement, elle était la tête et moi les jambes ou plutôt les bras.

Et voilà que, peu à peu, la situation va changer. Tout en continuant à faire marcher mes jambes et mes bras, il va falloir que je prenne la place de la tête. Et vous imaginez bien que ça ne va pas être facile, ni pour l'un ni pour l'autre.

Pour mon épouse, la période charnière a du être extrêmement pénible à vivre. Je suis intimement persuadé qu'elle s'était rendue compte de son état et qu'elle a fait des efforts inouïs pour tenter de le dissimuler à son entourage. Malheureusement, je n'ai pris conscience de cela que plus tard et je me fais reproche de n'avoir pas su réagir comme il le fallait, à ce moment là. Au lieu d'ignorer charitablement ses maladresses, ses oublis, ses incohérences, et de réparer discrètement les dégâts, je m'en offusquais et je les lui reprochais. Ce qui ne faisait qu'augmenter son stress et sa souffrance.

Vous le devinez, tout ce que je sais actuellement, je l'ignorais à ce moment là. Les informations que j'ai accumulées sur la maladie d'ALZHEIMER se sont étalées dans le temps et je ne suis même pas sur de les avoir bien comprises immédiatement.

Je vous assure que je donnerais volontiers dix ans de ma vie, pour pouvoir retourner en arrière et reprendre les choses à zéro. Pour agir comme il aurait fallu le faire. En tout cas, tenter d'agir ainsi. Car, ce qu'il faut réaliser, dans l'idéal, me parait presque aussi difficile que de résoudre la quadrature du cercle.

Non seulement, il ne faudrait pas empêcher le malade d'agir mais, au contraire, il serait bon de l'inciter à participer, pour maintenir, autant que possible, ses facultés encore intactes, mais en évitant à tout prix de le mettre en échec (en tout cas de le lui faire remarquer). Il faudrait complimenter pour les manœuvres réussies et accepter avec le sourire les différentes erreurs et casses qui se produisent immanquablement.

Le tout, bien entendu, dans le respect des règles élémentaires de sécurité, tant pour le malade, que pour soi-même et pour le voisinage. Il faut bien comprendre que dès que le malade se trouve dans un lieu potentiellement dangereux, un accident peut se produire à tout moment. C'est effrayant de penser à ce qui pourrait se passer dans une innocente cuisine. Or, nous l'avons vu, il est déconseillé d'intervenir en permanence, surtout pour interdire, ce que le malade Alzheimer risquerait de prendre très mal. Les précautions à prendre concernent principalement les risques électriques (renfermer les instruments dangereux comme les mixers, ouvre-boîtes, sèche-cheveux…), le gaz (toujours fermer le robinet principal lorsque l'on s'absente, ne serait-ce que quelques minutes), les chutes (tabouret laissé sur le balcon situé dans les étages) etc.

Pour moi, comme pour tous les aidants familiaux, du moins je le présume, la situation n'est pas plus brillante. Au début surtout, on ne comprend pas ces changements inquiétants survenus dans le comportement de son épouse. On ne comprend pas ses réactions de défense, sa tristesse, sa dépression, son agressivité, ses réactions à contre-courant. Les conseils que vous lui donnez, la moindre remarque sont très mal acceptés. Car tout se passe comme si le malade Alzheimer se sentait offensé et, par réaction, prenait le contre-pied de tout ce que vous proposez. On devient soi-même inquiet, énervé, exaspéré, parfois. On ne sait plus à quel saint se vouer. Plus tard, c'est encore pire ! Quand on réalise que les péripéties initiales n'étaient que des hors d'œuvre par rapport au plat de résistance qu'il faut maintenant affronter.

C'est une véritable désolation de voir son épouse, si brillante, si vivante, perdre peu à peu toutes ses facultés intellectuelles, ne plus pouvoir s'exprimer, ne plus rien comprendre de ce qu'on lui dit, ne plus reconnaître les membres de sa famille, enfants, petits enfants, mari….

Haut de la page  La deuxième catégorie de difficultés est d'ordre matériel

En premier lieu, au sein du foyer, il faut pourvoir au remplacement du « grillon » qui, peu à peu, abandonne ses activités. Dans un délai assez court, l'aidant devient, dans un domaine qui lui était peut-être peu familier, seul acteur et responsable de tout ce qui fait l'ordinaire du foyer, la gestion quotidienne, les décisions et mesures à prendre dans tous les domaines du plus futile au plus important. Mille et une questions vous assaillent soudain. Quelles modalités de travail ont été convenues avec la femme de ménage ? Où sont classés les bulletins de paie, les déclarations à l'URSSAF, les papiers de famille, les factures en cours de règlement le courrier en instance ? Comment va-t-on organiser les repas ? Quand faut-il arroser les plantes vertes ? Et que dire du stress qui vous saisit lorsque vous vous apercevez, par exemple, que les bulletins de paie, enfin retrouvés, sont erronés depuis plusieurs mois, qu'il en est de même pour la comptabilité de l'association sur laquelle vous allez passer des jours et des nuits pour tout remettre en ordre.

En second lieu, il va falloir trouver des solutions pour aider son conjoint dans les actes de la vie courante, lorsqu'on a fait le choix du maintien à domicile du malade, aussi longtemps que cela est possible, matériellement.

Outre le contexte général difficile que je viens d'évoquer, je vais vous énumérer quelques uns des principaux obstacles que j'ai rencontrés et les solutions utilisées pour les surmonter.

Haut de la page  La toilette. Il arrive un moment où le malade Alzheimer enfermé seul dans la salle de bain n'est plus capable de se doucher ni même de procéder à une toilette correcte par petits morceaux. Même constat pour l'habillement. Pas besoin d'être Sherlock pour s'en apercevoir. Dans un premier temps, j'ai réagi avec toute la diplomatie possible pour aider mon épouse, très pudique, à faire une toilette au lavabo. Dans un deuxième temps, elle a accepté que nous prenions notre douche tous les deux ensemble. Au bout de quelques mois de cet exercice de plus en plus compliqué à réaliser, je me suis décidé à faire appel à une aide extérieure (infirmière D.E.).

Haut de la page  Incontinence urinaire et fécale. Lorsque les premiers « accidents » arrivent, on comprend qu'on a franchi un nouveau palier dans l'épreuve. C'est l'époque des nuits blanches (trois réveils par nuit en moyenne), des matins nauséeux et des journées incertaines, sans cesse sur le qui-vive. La machine à laver tourne à plein régime. Jamais le linge n'avait connu un tel turnover. On utilise beaucoup de bombes désodorisantes. Dans ce domaine également, après une certaine période de flottement, il est possible de retrouver un peu de sérénité, en prenant quelques mesures simples que j'ai appliquées avec de très bons résultats.

Équiper le lit avec une alèse en caoutchouc pour protéger le matelas, alèses en coton jetables pour protéger les draps et, de plus, équiper le malade avec des couches nuit très efficaces. La difficulté résiduelle consiste dans la pose de cet accessoire qui nécessite un peu d'habileté, beaucoup de patience, et entraîne de la fatigue dorsale, car elle vient s'ajouter aux opérations de déshabillage et d'habillage pour la nuit. Mais ensuite, plus besoin de programmer son horloge interne. On peut dormir tranquillement.

Dans la journée, la quasi-totalité des accidents peuvent être évités si on est attentif à certains signes avant-coureurs (agitation soudaine, sauts de puce) et surtout si on programme une « pause WC » à intervalles réguliers (dans notre cas toutes les 2 ou 3 heures maximum). Grâce à cette vigilance, nous avons pu éviter l'utilisation des couches dans la journée sans trop de dégâts, pendant une période non négligeable.

Haut de la page  Perte des automatismes pour boire et manger. Ça vient progressivement mais sûrement. Il faut essayer de maintenir l'automatisme le plus longtemps possible, en acceptant les salissures (malgré la double serviette). La toile cirée a rapidement remplacé les nappes en tissu.

Ensuite, il faut procéder comme avec un nourrisson ou un parent plus âgé. Pour ma part, j'ai « bénéficié » de l'expérience acquise pendant plus de deux ans auprès de ma mère atteinte de démence sénile et décédée à l'âge de 104 ans en novembre 2003. Avec un peu d'entraînement, il est possible de manger soi-même, tout en faisant manger son parent. Le fait de tout préparer à l'avance et de tout mettre sur table lorsque le menu s'y prête, facilite beaucoup les choses, surtout pour les personnes qui, comme moi, mangeaient très lentement (on est quand même obligé d'accélérer un peu).

Plus tard encore, les deux difficultés majeures sont la perte d'appétit et les risques de fausse route. Dans les derniers mois de sa vie, il me fallait, régulièrement entre une heure et demie et deux heures pour faire prendre à mon épouse un minimum de nourriture indispensable et ceci, midi et soir. Quant aux fausses routes, elles ont été à l'origine de son décès survenu dans un établissement hospitalier, comme cela se produit souvent, pour les malades « Alzheimer ».

Haut de la page  Perte des automatismes pour s'asseoir, se lever, marcher, monter et descendre de voiture. Il faut éviter autant que faire se peut les situations les plus dangereuses comme monter et surtout descendre des escaliers, utiliser des sièges à roulettes non pourvus de freins, garer la voiture sur un emplacement trop étroit (dans ce cas, faire monter le malade à bord ou l'en faire descendre relève de l'exploit). Dans l'ensemble, une seule recette à proposer : avoir de bons muscles, un dos solide, beaucoup de patience et espérer l'aide du kiné, pour soi-même, en cas d'accident.

Et plus les mois et les années passent, plus la situation devient difficile à gérer. Un jour vient où votre malade ne peut plus marcher, où il se laisse tomber sur le sol à la moindre manipulation, où vos propres forces vous abandonnent, où même l'utilisation de l'énorme et encombrant soulève malade que vous avez fini par louer, devient problématique. Lorsque les intervenants infirmiers eux-mêmes commencent à marquer quelque réticence à s'occuper d'un cas aussi lourd et que votre propre dos demande grâce, vous comprenez qu'il n'y a pas d'autre issue que le placement en établissement.

Bien qu'elle s'impose d'elle-même, la décision est difficile à prendre sur le plan psychologique. En outre, il faut trouver l'établissement adéquat aux divers plans du confort, de l'éloignement, du prix de journée, et surtout, des places disponibles. C'est un nouveau parcours du combattant qui attend l'aidant familial déjà épuisé par les années qu'il vient de vivre. En ce qui me concerne, le soutien actif du service social de la Timone  où ma femme avait été admise, dans le service de M. PONCET, pour un dernier bilan, m'a permis d'obtenir une place dans l'établissement de mon choix. J'ai tendance à considérer qu'il s'est agi d'un miracle !

Le séjour a duré environ deux mois aux termes desquels mon épouse a du être hospitalisée dans une clinique privée où elle a terminé son chemin de croix, au matin du 2 août 2005, Il y a un peu plus d'un an.


Les minutes ont passé et je n'ai pas la possibilité de m'étendre sur cette dernière période.

Je voudrais consacrer le peu de temps qui me reste à vous dire ceci :

Jusqu'à présent, je n'ai fait qu'égrener une longue liste de difficultés et certains d'entre vous doivent se demander s'il est possible de les surmonter. Eh bien, fort de mon expérience, je réponds oui, sans ambiguïté.

Oui, il est possible d'aider efficacement votre malade, mais ce n'est possible qu'à certaines conditions. Voici ce qui, à mes yeux, peut permettre d'être un bon aidant familial, capable de vaincre tous les obstacles…..ou presque.

Haut de la page  Première condition

Il faut d'abord et surtout, beaucoup d'AMOUR, beaucoup d'ABNEGATION, beaucoup d'ALTRUISME . Cela ne se commande pas. Il me parait difficile de forcer sa nature, dans ce domaine, au-delà de certaines limites. Il en est ainsi : on peut ou on ne peut pas. Si on ne peut pas, il ne sert à rien de se culpabiliser. Il me semble qu'il est alors préférable de choisir un placement dans un établissement approprié et ce, le plus rapidement possible, dans l'intérêt même du malade qui sera pris en charge par des professionnels compétents. Des visites régulières de la famille lui permettront de comprendre qu'il n'a pas été abandonné.

Si on a fait le choix, exigeant, du maintien à domicile, il faut, alors, se donner toutes les chances d'y parvenir dans les meilleures conditions possibles, pour le malade et pour soi-même, en évitant au moins deux écueils :

  • surestimer ses forces et capacités
  • et les sous-estimer.

Pour éviter, cela, il faut ne pas avoir la prétention de régler tous les problèmes d'un coup (on ne dispose pas d'une baguette magique !) Il faut vivre au jour le jour, avancer un pas après l'autre, comme le coureur de Marathon en fin de parcours. Résoudre, même de façon provisoire, les problèmes quand ils se présentent. Le fait de surmonter une difficulté rend plus fort pour affronter les suivantes. Petit à petit les choses s'organisent, la montagne qui vous bouchait la vue commence à s'abaisser sur l'horizon. Donc, vous voyez mieux et plus loin, votre angoisse diminue d'intensité. Patiemment, vous allez arriver à dominer le sujet qui semblait devoir vous écraser au départ.

Mais il faut pour cela mettre encore d'autres atouts de votre côté.

Haut de la page  Deuxième condition

S'INFORMER aussi bien que possible. Je l'ai déjà indiqué mais, à mon avis, ça vaut la peine d'insister.

Première source d'information incontournable, le neurologue qui suit le malade et se tient en relation étroite avec sa famille. Il y a aussi, et dans mon cas, les deux étaient étroitement liés, l'Institut de la maladie d' Alzheimer, à but non lucratif, qui diffuse documentation et bulletins d'information et reçoit les familles à sa permanence.

Outre la presse nationale et locale, j'ai suivi sur Internet, un forum rassemblant plusieurs centaines de personnes (ALOIS) et j'y ai même participé activement.

J'ai lu divers ouvrages ou revues qui m'ont apporté des informations très utiles. Je citerai en particulier :

  • Comment vivre avec un Alzheimer du Dr Michèle MICAS
  • Maladie d'Alzheimer – À l'écoute d'un langage du Dr Louis PLOTON
  • La nuit tous les vieux sont gris de Jérôme PELISSIER
  • La mort est une question vitale d'Elizabeth KUBLER-ROSS
  • Alzheimer, le cerveau sans mémoire – Revue La Recherche Hors série N° 10- janvier mars 2003

Mon seul regret est de n'avoir pas eu ces informations, dès le début de la maladie, ce qui m'aurait évité de faire beaucoup d'erreurs dont mon épouse a certainement souffert, dans la période initiale.

Haut de la page  Troisième condition

NE PAS RESTER ISOLÉ

Il ne faut pas hésiter à parler de ses problèmes avec son entourage familial et amical. Partager sa souffrance c'est déjà l'atténuer un peu. Il ne faut pas sous-estimer toute l'aide morale et le puissant appui que peuvent vous apporter les simples présences affectueuses de vos enfants, petits enfants et autres membres de la famille, proches ou lointains, les messages écrits ou téléphoniques de vos amis et connaissances. Ils peuvent aussi vous aider, plus concrètement, en assurant quelques dépannages en urgence, quelques accompagnements, en vous conviant à un repas ou une collation en petit comité, etc.

Bien que je n'y aie pas eu recours personnellement, on peut aussi participer à des groupes de parole si le contexte s'y prête.

Haut de la page  Quatrième condition

NE PAS SE PRENDRE POUR SUPERMAN

Avant d'être dépassé par les évènements, ne pas hésiter à faire appel à toutes les aides accessibles, pour le malade et pour soi-même.

Il y a pour cela des professionnels formés et compétents dont j'ai pu apprécier (à une ou deux exceptions près) le sérieux, l‘efficacité et le sens de l'humain. Leur intervention s'imposera d'elle-même au fur et à mesure des difficultés rencontrées.

En dehors des médecins, la clé de voûte de ce ballon d'oxygène qui m'a été apporté est l'assistante sociale de secteur. C'est la personne la mieux placée pour vous conseiller et vous guider dans le maquis des textes et des démarches. Si vous le souhaitez, elle se chargera elle-même d'effectuer ces démarches pour vous. Elle est en relation avec la plupart des acteurs du domaine sanitaire et social qui auront à intervenir. 

En ce qui nous concerne, l'assistante sociale du centre local d'information et de coordination (CLIC) à qui nous nous sommes adressés et qui nous a suivis pendant près de deux ans, a été très efficace.

Pour l'aménagement du logement, elle nous a « fourni » une ergothérapeute qui, après visite de l'appartement nous a utilement conseillés sur les améliorations souhaitables (rehausseur et douchette pour le WC, fauteuil tournant à poser sur la baignoire et permettant de donner la douche dans des conditions de sécurité et de confort appréciables).

Cette même assistante sociale avait également constitué et transmis au conseil général avec son avis, le dossier d'A.P.A. qui nous a permis de bénéficier d'heures d'aide familiales.

En outre, elle avait constitué et transmis à la COTOREP un dossier tendant à faire obtenir à mon épouse la carte d'invalidité qui permet de bénéficier de certains avantages pour le parking et sur le plan fiscal.

Enfin, elle nous avait mis en rapport avec une association d'aide familiale.

Progressivement, nous avons bénéficié, à domicile, des aides suivantes :

  • Pour la toilette quotidienne (soins corporels), une infirmière ou infirmier, une intervention journalière (le matin) tous les jours de la semaine y compris dimanche et jours fériés. Prise en charge par la sécurité sociale sur prescription médicale.
  • Pour la socialisation et le maintien de certains acquis, une orthophoniste une fois par semaine. Prise en charge comme les soins infirmiers. Mon épouse en a bénéficié jusqu'en mai 2004.
  • J'ai également essayé, mais avec de très mauvais résultats dans le cas de mon épouse, un centre d'accueil de jour. L'expérience a été arrêtée au bout de trois semaines avec l'assentiment du neurologue.
  • Pour le confort et le maintien de conditions physiques minimum, un kinésithérapeute deux ou trois fois par semaine. Prise en charge comme les deux précédentes interventions.

Pour le soutien de l'aidant, aides à domicile prises en charge par le conseil général au titre de l'APA en fonction de l'état du malade (G.I.R.), des ressources du foyer et des autres dépenses supportées directement (femme de ménage). À titre d'exemple, nous avions bénéficié de 23 heures d'aide familiale par mois réparties en deux aides par semaine, deux heures le lundi après midi, trois heures le vendredi après midi. Leur travail consistait à tenir compagnie et veiller à la sécurité de mon épouse. Ceci me permettait de disposer de quelques heures de liberté, appréciables lorsqu'on est sur la brèche 24h sur 24, 7 jours sur 7 et 365 jours par an pendant plusieurs années. En ce qui me concerne, cette disponibilité m'a donné, notamment, la possibilité de consulter un psychothérapeute deux fois par mois. Sans ce médecin et le traitement qu'il m'avait prescrit, je n'aurais sans doute pas pu tenir le coup et continuer à porter ce fardeau très lourd. S'agissant d'un médecin, les consultations sont remboursées par la sécurité sociale. À défaut, un psychologue peut intervenir gratuitement à la demande du CLIC.

À noter qu'au début, l'intrusion de tous ces intervenants, à leur cabinet ou au domicile, paraît être une source de préoccupations supplémentaires pour l'aidant familial (contraintes d'horaires qui se télescopent parfois, contretemps accidentels, changements d'intervenants, etc.). Mais une fois la mise en place faite, les inconvénients me sont apparus mineurs à coté du soulagement obtenu.


Haut de la page En terminant ce témoignage, parcellaire et incomplet, je voudrais, si vous le permettez, vous faire part de deux leçons que j'ai retenues de cette expérience que la vie nous a imposée. La première, c'est que l'épreuve, subie dans la révolte, est destructrice pour soi-même et pour ceux qu'on a la charge de protéger. Lorsque j'ai cessé de me battre contre les moulins en acceptant enfin l'inacceptable, mon regard et mon comportement ont changé radicalement et j'ai pu assumer mon rôle d'aidant familial dans de bien meilleures conditions.

La deuxième leçon c'est qu'il ne faut pas se sous-estimer. Lorsque le besoin s'en fait sentir, on peut découvrir en soi, des ressources insoupçonnées jusque là. En s'efforçant d'avoir un regard positif sur les événements, même les plus problématiques, on devient capable de déplacer les montagnes.

Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, j'ai été un peu long et je vous prie de m'en excuser. Je vous remercie de votre attention.

Marseille, septembre 2006

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