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Accueil>Témoignages>Canicule : témoignage d'un médecin
La canicule a touché plus particulièrement les personnes fragiles, dont les personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer et de maladies de même type. Les hommes politiques se sont emparés du sujet pour en tirer une gloire médiatique personnelle, ou se disculper d'un état de fait qui révèle combien les structures de santé françaises manquent d'effectifs.

Canicule

Docteur Michel Cavey, été 2003
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La canicule a fait trois mille morts. Enfin, ce sont les chiffres officiels, et il semble que les critères retenus soient très restrictifs. Peu importe : il y a eu beaucoup de morts.

Comme tous les chefs de service j'ai reçu des consignes très strictes : je dois faire chaque soir le compte des malades souffrant d'un coup de chaleur.

C'est que, voyez-vous, on voudrait essayer de comprendre ce qui a bien pu se passer.

Parce qu'on ne comprend pas.

Et savez-vous pourquoi on ne comprend pas ?

Simplement parce qu'on ne me téléphone pas.

Des malades en difficulté, j'en ai vu. Beaucoup. Dans mon service il y a 60 personnes âgées. Et pour faire boire un verre d'eau à une personne âgée, il faut en moyenne une minute. Mettons qu'il faille leur faire boire un litre : c'est huit heures de travail. Un poste de soignant. Et ce poste je ne l'ai pas.

Des malades aux Urgences, j'en ai vu. Beaucoup. Et ils y restent. Pourtant l'hôpital a des lits vides. Mais ils sont fermés faute de personnel.

Des coups de chaleur, j'en ai vus. J'espère que je n'ai commis aucune erreur. Mais mon service a 60 lits, et je n'ai pas d'autre médecin avec moi.

Quand on met le système de santé dans l'état où on le met, il ne faut pas s'étonner qu'il ne puisse pas gérer des crises. Tout le monde sait ça, même les militaires : quand on n'a pas de réserves, on est mal.

Le choix de société est là, et nous le vivons quotidiennement dans tous les domaines de la vie. C'est qu'il faut rentabiliser, il faut dégraisser, il faut travailler en flux tendu. Soit. Mais faire cela revient à rogner sur notre capacité d'adaptation. C'est aussi simple que cela, et cela vaut pour l'industrie, la finance, l'agriculture ou les intermittents du spectacle.

Les décideurs qui se sont trouvés impliqués dans l'affaire du sang contaminé n'ont pas fait autre chose que de considérer le rapport qualité/prix. Et en faisant cela ils se sont approchés si près de la limite qu'ils l'ont franchie. C'est le même mécanisme, c'est la même faute. Et c'est à peu près le même nombre de morts. Aura-t-on le même procès ?

À qui la faute ? bien sûr il y a ces 35 heures que personne ne demandait ; mais il y a tous ces gens, techniciens, politiques, qui depuis des années rognent sur les moyens. Le problème est que cela continue. Notre ministre de la santé vient d'avaliser une liste de médicaments déremboursés. Jusqu'ici on déremboursait des médicaments plus ou moins douteux. Voici que maintenant on attaque des produits parfaitement actifs, parfaitement utiles, des traitements des nausées par exemple, expliquez-moi comment on compte développer les soins palliatifs si on ne peut plus traiter les nausées. Notre ministre nous rapproche de la frontière où les choses vont devenir dangereuses.

Ce que nous voyons, c'est que des vieux sont morts. L'évolution de notre système de soins a entraîné des morts de vieux. Les vieux ne sont pas notre priorité. Dont acte.

Je crois que je vais me remettre à fumer : il y a des gens qui ont perdu le droit de me donner des leçons.

Docteur Michel Cavey

Service de soins de suite et de réadaptation

Centre Hospitalier de l'Agglomération Montargoise

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