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Quelle utilisation de la couleur ?
Nb : en cliquant sur les numéros des notes vous
pouvez les atteindre et revenir ensuite à leur emplacement dans le texte
au début du paragraphe ou de la phrase.
Notion de couleur
Nous sommes des professionnels du soin. C'est là une question
fondamentale qui est posée à la prise en charge des personnes âgées : pourquoi
cette prise en charge est-elle confiée à des soignants ? Certes les plus
souvent nos résidents ne sont pas en bonne santé. Reste à savoir si c'est leur
état de malade qui définit le mieux ce qu'ils sont. Pourtant ce sont d'abord
des gens qui mangent, qui boivent, qui s'ennuient, qui vivent. Que disons-nous
quand nous disons que ce sont d'abord des malades ?
La conséquence est que nous avons tous tendance à voir le malade
avant la personne, et à oublier qu'un dément ce n'est pas d'abord un dément,
c'est d'abord un vieux. Et qu'un vieux ce n'est pas d'abord un vieux, c'est
d'abord un humain. L'inconvénient pour nous c'est que cela n'est pas très confortable,
car cela nous force à constater qu'il nous ressemble ; avons-nous vraiment
envie de lui ressembler ?
En tant qu'il est vieux, le dément
a des troubles visuels. C'est la première chose qu'il nous faut considérer.
Mais le vieillissement normal semble engendrer assez peu de troubles de la vision
des couleurs. Il y a des troubles de la reconnaissance des formes (presbytie),
il y a des troubles de la vision des contrastes, il y a une moindre résistance
à l'éblouissement, mais la vision des couleurs reste à peu près intacte (1)
, à la réserve près des troubles liés à la cataracte.
Je n'ai trouvé aucune référence disant que la démence altérerait
la vision des couleurs ; ce n'est en rien une évidence, car le dément a
des troubles visuels spécifiques : on trouve fréquemment par exemple un
trouble de la perception d'un hémichamp visuel, sans qu'on puisse dire s'il
s'agit d'une héminégligence ou d'une hémianopsie. Le dément mange la moitié
de son assiette, il faut la tourner pour qu'il mange l'autre.
Bref le dément voit les couleurs comme nous, et sa problématique
de la couleur est la même que la nôtre. Ceci conduit à déplacer le problème
posé : qu'est-ce que la couleur pour nous ? Et d'abord, qu'est-ce
que la vision ?
Qu'est-ce que voir ?
Les deux sens principaux de l'homme
sont la vision et l'audition. Ce sont les deux sens qui lui permettent de connaître
les choses qui sont à distance de lui (2) . Mais il suffit
de réfléchir pour constater qu'il existe entre les deux sens une différence
importante.
Je ne vois en effet que ce qui passe sous mon regard, en simplifiant
je dirais que pour voir il faut regarder. La vision est le sens qui me permet
d'observer, de viser, d'épier, de surveiller, c'est le sens qui me sert à attaquer.
Mais si je ne peux rien savoir de ce
qui se déroule derrière moi, par contre je peux fort bien entendre. Le bruit
s'impose à moi, et le rôle de l'audition est avant tout un sens d'alerte. On
a beau dire au guetteur : « Ouvrez l'œil » ,
ce qu'on attend de lui c'est qu'il tende l'oreille. Bref, si la vision est le
sens de l'attaque, l'audition est le sens qui me sert à me défendre (3).
S'il est nécessaire de regarder pour
voir il n'est pas nécessaire d'écouter pour entendre. C'est la conscience qui
vient compliquer ce schéma en offrant des filtres : je peux ainsi refuser
de voir ce que je regarde, ou d'écouter ce que j'entends. Mais du fait qu'en
principe je dois regarder pour voir alors qu'il ne m'est pas nécessaire d'écouter
pour entendre, la vision concerne davantage la conscience et l'audition davantage
l'inconscient (quand je dis « ça me parle « , je ne suis
pas dans le même registre que quand je dis « ça me regarde ») ;
en caricaturant on pourrait dire que voir est une affaire de néocortex, entendre
est une affaire de paléocortex (4).
Reprenons maintenant notre sujet : la vision. Voir, c'est
voir des formes et des couleurs. Et de ce point de vue il y a deux choses à
considérer.
La fonction la plus évidente de la
couleur est d'attirer notre attention. Dans ce qui passe dans notre champ visuel
ce que nous remarquons en premier ce sont les objets aux couleurs les plus vives.
Il suffit de cette remarque pour concevoir que de ce point de vue la couleur
a quelque chose à voir avec le son : une couleur intense s'impose au même
titre qu'un bruit intense, et c'est bien pourquoi on parle de « couleur
éclatante » (5) . Et
on sait que la couleur est utilisée différemment dans le règne animal et dans
le règne végétal : si les fleurs sont colorées, c'est pour attirer l'attention
des insectes dont leur survie dépend ; les animaux, eux, ambitionnent davantage
de passer inaperçus (6).
Parce que la couleur a à voir avec l'audition, elle a à voir
avec l'inconscient. La manière dont les couleurs nous influencent est souvent
très discrète, au point que bien souvent nous ne savons même pas de quelle couleur
il s'agit. Ce langage n'en est pas moins très précis. C'est de cette manière
qu'on cherche les cèpes : on ne peut se guider sur la forme car les cèpes
sont souvent cachés sous la mousse ; pour les trouver il faut renoncer
à chercher des formes, il faut se placer dans un état d' « attention
flottante » superposable à celui dont parlent les psychanalystes,
et s'intéresser aux couleurs. C'est alors certains tons de brun, des tons que
pourtant on ne saurait même pas décrire, qui permettent de trouver son butin.
Mais alors si la couleur est enracinée dans l'inconscient, il
est probablement prudent de ne pas trop s'en approcher. De deux choses l'une
en effet : ou bien on veut manipuler les couleurs dans un but thérapeutique
et cela implique une formation de type psychanalytique, ou bien on ne dispose
pas de cette formation et il importe d'éviter la psychothérapie sauvage.
Mais d'autre part la forme est aussi ce qui nous sert à identifier
les objets. C'est à sa forme que je reconnais une fourchette, et il n'y a aucune
couleur spécifique affectée à la catégorie « fourchette ».
Les choses sont à ce point tranchées que si dans un film publicitaire nous voyons
une vache de couleur bleue où est écrit « Milka », nous
disons que c'est une vache bleue ; et il ne nous vient pas à l'esprit de
dire : puisqu'aucune vache n'est bleue, ce n'est pas une vache. Au reste
de nombreux animaux, et notamment des fauves, ne savent pas reconnaître les
couleurs, et le taureau de combat se guide sur les formes et le mouvement. En
somme pour attaquer il n'est nullement nécessaire d'annoncer la couleur.
Mais alors de ce point de vue à quoi sert la couleur ?
Pour décrire un objet, mettons une fourchette, il faut d'abord
que je montre en quoi c'est une fourchette semblable à toutes les fourchettes,
il faut que je recense ses qualités essentielles. Mais quand cela est fait,
il faut que je dise en quoi il s'agit de cette fourchette, il faut que je dise
en quoi elle se distingue de toutes les autres fourchettes, il faut que je recense
ses qualités accessoires. Cette fourchette est correctement décrite quand j'ai
dit à la fois en quoi elle ressemble à toutes les fourchettes et en quoi elle
s'en distingue.
La couleur est une qualité accessoire ; c'est ce qui, dans
l'exemple que nous avons choisi, nous sert à distinguer deux fourchettes entre
elles. C'est ma fourchette qui est rouge.
Or il se trouve que l'opération mentale
qui sert à identifier un objet est complexe. Ce que j'ai devant les yeux, c'est
un objet allongé, ondulé, avec une extrémité épaisse et une autre plate pourvue
de quatre indentations. Tant que j'en reste là je ne sais pas qu'il s'agit d'une
fourchette, et j'en suis réduit à imaginer, comme je ferais d'un objet inconnu,
à quoi il peut bien me servir. C'est quand je l'ai nommée que je peux m'en servir
(7), c'est par le langage que je m'approprie le monde.
On sait qu'il existe dans notre cerveau des fonctions de raccourci qui permettent
de reconnaître les objets sans avoir à les analyser à chaque fois (8) ;on
sait aussi que cette fonction est atteinte dans la démence, et que si le patient
reste devant son lavabo incapable d'effectuer le moindre geste c'est notamment
parce qu'il ne sait plus identifier le savon (d'ailleurs pendant longtemps il
suffit de nommer le savon pour débloquer la situation).
Dans ces conditions on est tenté de se demander s'il n'y aurait
pas là un moyen de compenser la faillite des systèmes habituels de la pensée
par un recours à d'autres procédés : si le dément ne sait plus identifier
sa fourchette à sa forme, peut-il l'identifier à sa couleur ? C'est possible.
Encore faudra-t-il dès lors se donner les moyens de gérer un tel système. Par
ailleurs si on joue sur les couleurs il faut garder à l'esprit qu'on joue avec
des données de l'inconscient, ce qui demande quelques précautions.
Quelles applications pratiques ?
Le résultat de notre recherche est
donc assez maigre : si nous laissons de côté ce qui relève de la fantasmagorie
il y a de fortes chances que tout travail sur les couleurs ne renvoie en fait
à rien de vérifiable ; dans ces conditions on ne peut les utiliser qu'au
hasard, et si on obtient un résultat il a toute chance d'être incontrôlable
et donc dangereux. Si on veut utiliser les couleurs le plus raisonnable est
donc de le faire en tenant compte simplement de l'effet qu'elles ont sur nous
(9) .
Et ceci nous conduit à une remarque fondamentale : nous
nous sommes demandé comment il fallait utiliser les couleurs avec le dément.
Et la première chose que nous avons découverte est qu'à notre connaissance les
couleurs sont pour le dément ce qu'elles sont pour nous. Une des grandes difficultés
de la prise en charge du dément est bien celle-ci : la démence ne modifie
pas tout ; nous avons souvent tendance à oublier ce point et à croire que
tout dans notre approche du dément doit être spécifique. Cette attitude a une
fonction protectrice : la démence nous fait peur et pour cette raison nous
essayons de nous en démarquer en montrant en toute occasion qu'il est différent
de nous. Cela nous conduit souvent à des attitudes inadaptées.
La couleur est donc pour lui ce qu'elle
est pour nous (10) : pour tout le monde le rouge
évoque la chaleur, mais aussi la colère ; pour tout le monde le vert évoque
le repos, et la paix. Il n'y a là aucun mystère : le feu est rouge et l'herbe
est verte. L'usage des couleurs n'a donc pas de raison d'être très différent
de celui qui en est fait chez le sujet non malade. On
trouvera ci-après quelques conseils. (11)
- Ce qu'on veut obtenir, c'est attirer l'attention du résident
sur certains points, et la détourner d'autres points ; on va donc jouer
sur la première fonction de la couleur.
- Dans un couloir, la porte de la chambre doit être d'une couleur
tranchée par rapport à la couleur des murs, ce qui permet au résident de repérer
la porte. Reste à l'attirer vers certaines portes et non vers d'autres :
les portes des salles communes doivent être d'une couleur saturée pour attirer
le regard ; par contre les portes des pièces de service doivent se fondre
dans le coloris des murs. De même il vaut mieux laisser les couloirs de sortie
dans l'obscurité. Ces techniques sont efficaces et simples à utiliser, mais
la condition est qu'on se souvienne de ce qu'elles sont : des techniques
de manipulation identiques à celles qu'on emploie dans les grandes surfaces.
- Ou encore, pour lutter contre l'incontinence il faut que le
sujet identifie aisément les toilettes. Il faut donc bien différencier la
couleur des portes de celle des murs environnants (mais il faut aussi que
la couleur rappelle au sujet que ce sont des toilettes ; le mieux est
que la couleur des portes des toilettes soit identique dans tout l'établissement.
Par exemple des portes jaunes, les murs des chambres étant dans des tons pastels
de bleu ou de vert.
- On facilite la réorientation en
plaçant des sigles (suffisamment grands, étant donné la baisse de l'acuité
visuelle) à des endroits bien visibles. Le jaune sur fond bleu donne les meilleurs
résultats (12) .
La lumière
Mais les couleurs sont fortement influencées par l'éclairage.
Un objet a une couleur parce qu'il réfléchit une partie de la lumière qu'il
reçoit ; ainsi un objet rouge est rouge parce qu'il absorbe toutes les
ondes lumineuses qu'il reçoit sauf le rouge ; cela suppose que dans la
lumière qu'il reçoit il y ait des ondes rouges, et si on l'éclaire en lumière
bleue il paraît noir : tous les habitués des boîtes de nuit connaissent
ce phénomène, et d'ailleurs quand il n'y a pas de lumière tout est noir.
Or la lumière naturelle contient toutes la gamme des ondes. Celle
des lumières artificielles est toujours plus pauvre. Les couleurs ont besoin
de lumière naturelle pour être belles. La gamme d'ondes des ampoules électriques
tire sur le jaune, celle des tubes fluorescents est très étroite (c'est la raison
pour laquelle ils consomment moins d'énergie : si un fluo ne chauffe pas,
c'est parce qu'il n'émet pas d'infrarouge).
La lumière très crue produite par des fluos nombreux, incite
à fermer les yeux (d'où une diminution de la présence à l'entourage) et conduit
à l'agitation de certains patients. Par un effet d'optique, ce type d'éclairage
rallonge les couloirs : la lumière, réfléchie par les murs et par le sol,
crée un effet de tunnel. Par contre, les tubes fluorescents sont utiles dans
les armoires.
Plusieurs lampes disposées dans toute la pièce permettent d'obtenir
une distribution plus uniforme de la lumière qu'une seule source d'éclairage
de grande puissance.
Le problème d'éclairage le plus fréquent est la brillance :
soit la lumière est trop brillante et provoque l'éblouissement, soit elle n'est
pas assez brillante. Le coût d'un éclairage adéquat est minime par rapport aux
bénéfices possibles. Les surfaces mates sont conseillées. Éviter les planchers
cirés ou brillants.
Les couleurs foncées absorbent la lumière, tandis que les couleurs
claires la réfléchissent. Si une pièce est trop sombre, peindre les murs d'une
couleur pâle et poser des rideaux aux couleurs claires. Des rideaux foncés ajourés
laissent passer la lumière tout en réduisant l'éblouissement. Un tissu de couleur
claire placé sur le dossier d'une chaise foncée la rend beaucoup plus visible.
Éclairer toujours convenablement les escaliers de façon à éliminer
les ombres qui pourraient gêner la vue. Pour les escaliers, la rampe et le bord
de chaque marche doivent être d'une couleur contrastante qui en facilitera le
repérage. De plus, des paliers de couleurs différentes en bas et en haut de
l'escalier sont un autre moyen qui aide au repérage.
Décorer la tête des clés, à l'aide d'un ruban adhésif coloré,
permet de les retrouver plus facilement. De même, on peut disposer des bouts
de ruban coloré le long des interrupteurs et des prises de courant afin de les
rendre plus visibles, surtout lorsqu'elles se confondent avec le mur.
Le jardin doit être considéré comme un milieu thérapeutique car
ses gammes de verts et ses odeurs aromatiques stimulent les sens : aide
à l'orientation.
Notion d'architecture
Cette question est mise au cœur de toute réflexion sur le projet
pour une unité de déments. Quoi de plus naturel ? Pourtant, avant de l'aborder
il faut se demander pourquoi on veut poser le problème de l'architecture. Il
y a en effet quatre points à envisager :
- Ce dont le dément a besoin parce qu'il est dément.
- Ce dont les soignants croient que le dément a besoin.
- Ce dont le dément a besoin parce qu'il est humain.
- Ce dont les soignants ont besoin.
Il y a des besoins que nous savons identifier, et qui sont liés
aux manifestations mêmes de la maladie. C'est le cas par exemple des espaces
de déambulation ; c'est aussi le cas des systèmes de sécurité ; c'est
le cas enfin de cette ébauche de sectorisation qui incite à regrouper les déments
insomniaques pour garantir le sommeil des autres. Mais quel est le raisonnement
qui nous conduit à identifier ces besoins ? On se doute bien qu'il n'est
guère possible de bâtir sur de tels sujets des études en double insu avec cross-over.
C'est donc en réalité à notre subjectivité que nous faisons appel.
Considérons le problème des espaces
de déambulation . On dit (13) : « Les
espaces de déambulation doivent être des espaces continus, les culs-de-sacs
créant de la frustration et de l'agitation ; en conséquence une boucle
continue est préférable à un couloir dans lequel la personne âgée ne pourrait
faire que des allers et retours. Il est important que le circuit de déambulation
soit largement dégagé et que tous les obstacles soient rangés le long des murs. »
On dit aussi : « En revanche, il est important que ce circuit
de déambulation ne se limite pas à être un simple "anneau de vitesse" (…),
mais fasse passer la personne devant différents espaces attractifs qui puissent
enrayer la déambulation incessante : living room, salle à manger, cuisine,
alcôves d'activités, donnant directement dans le couloir, toujours dans l'idée
de jalonner le parcours de déambulation d'éléments d'intérêts, et de réorientation. ».
On voit bien comment l'image se construit. D'abord il y a l'idée,
exacte, que la déambulation est une nécessité psychomotrice qu'il ne faut pas
contrarier. On insiste alors sur la liberté de mouvement qui doit être respectée.
Ensuite il y a l'idée, exacte elle aussi, que la déambulation n'est pas que
cela, qu'elle s'auto-entretient, et qu'il faut donc la canaliser. On perd ainsi
de vue le fait que les deux idées sont au fond contradictoires... On bute ici
sur le caractère ambivalent des choses : dans la réalité les meubles sont
à la fois des obstacles qui vont gêner la déambulation et des points d'attirance
qui vont permettre de la rythmer.
On ne saurait mieux mettre en évidence que nous ne savons pas
quoi faire de la déambulation. Par exemple l'idée que dans un couloir le résident
aura l'impression de buter contre des murs est sans doute exacte, mais rien
ne dit que dans un espace circulaire il n'aurait pas, précisément, l'impression
de tourner en rond. Le problème est qu'en réalité il faudrait pouvoir dire ce
que le dément ressent quand il déambule, et que nous n'avons pour cela que des
modèles inadaptés : tantôt la déambulation nous rappelle le besoin qui
nous prend parfois de marcher de long en large, tantôt il nous rappelle nos
errances sans but. Mais rien ne nous permet de dire que la déambulation du dément
a quoi que ce soit à voir avec nos propres fantasmes.
En réalité la seule chose dont nous sommes à peu près sûrs s'agissant
des espaces de déambulation c'est qu'il en faut. Quant à dire si les meubles
qu'on peut y trouver sont des obstacles qu'il faut ranger le long des murs ou
des jalons qui favorisent la réorientation, cela illustre surtout ce dont nous
croyons que le dément a besoin.
On en dirait autant des problèmes de sécurité : là on mélange
sans le moindre recul tous les niveaux de lecture, notamment on confond le fait
que le dément peut se sentir enfermé et la culpabilité que nous éprouvons à
l'idée de l'avoir effectivement enfermé. Le modèle de ce type de raisonnement
est la manière dont, dans de nombreuses unités, on dissimule les portes :
certes il peut être très angoissant pour le malade de se trouver face à des
portes qu'il ne peut ouvrir ; mais on ne se demande pas s'il est angoissant
de se trouver dans un espace où il n'y a pas de portes.
Le plus facile à analyser est sans doute le problème des aménagements
dont les soignants ont besoin. Et il y en a, et c'est légitime : si l'organisation
des locaux est telle que, par exemple, les soignants doivent passer un temps
excessif à vérifier que tous les résidents sont présents, il va en résulter
non seulement une grande perte de temps mais encore un stress inutile qui va
retentir sur la qualité de la prise en charge. Mais il faut aussi se demander
quelles projections on s'autorise de ce fait, et l'équipe a sûrement plus d'une
fois tendance à croire que telle chose est bonne pour le malade alors qu'en
fait cette chose est tout simplement bonne pour l'équipe elle-même ; par
exemple le parcours de déambulation idéal est celui qui réduit le nombre de
fugues ; une autre lecture pourrait conduire à se demander si un dément
qui ne cherche même plus à fuguer est réellement un dément qui s'améliore.
La véritable question est sans doute de se demander de quoi le
dément a besoin du fait qu'il est humain. Car l'unité de déments est un lieu
de vie. Et cela pose la question de deux manières radicalement antinomiques.
Ce lieu de vie doit être adapté aux spécificités du dément :
on doit lutter contre l'impression d'enfermement en privilégiant les pièces
claires, vastes, ouvertes sur l'extérieur, favorisant la déambulation, avec
une pluralité de centres d'intérêt disséminés en vue de favoriser l'exploration.
Le dément est d'abord un être désorienté, qui se trouve dans un environnement
inconnu et qu'il ne peut connaître. Ce dont il a besoin c'est de repères, et
il importe par-dessus tout que son milieu de vie ressemble à son milieu habituel.
Il reste bien entendu à rappeler que la situation du dément en
institution est une situation profondément anormale ; dans ces conditions
il est futile de vouloir lui construire un lieu de vie qui ressemble à son milieu
habituel : il n'est pas dans son milieu habituel. Mais cette simple remarque
suffit à montrer dans quelle incertitude nous sommes : le plus pénible
pour le dément serait-il l'étrangeté de ne pas pouvoir s'approprier son environnement
ou l'étrangeté de s'être approprié un environnement qui en fait n'a rien à voir
avec le sien ?
Poser cette question, c'est se poser
tout le problème de la démence : le dément est-il d'abord un dément ou
d'abord un humain ? Les soignants, on l'a déjà dit, n'ont que trop tendance
à utiliser le paradigme de la maladie : ils maintiennent ainsi la plus
grande distance possible avec ce qui leur fait peur. L'idée d'architecture prothétique
(14) repose notamment sur ce mode d'appréhension des problèmes.
Reste à savoir si c'est là la meilleure posture pour les résidents.
Quelques sites (tous les liens s'ouvrent dans une autre fenêtre)
Le site du SNOF
(Syndicat National des Ophtalmologistes de France) : pour en savoir plus
sur la vision, les maladies des yeux et l'histoire de la médecin oculaire.
Gérontologie
en institution: sur la couleur, mais aussi sur tout ce qui concerne la
personne âgée résidant dans des établissements spécialisés.
À noter : un dosier est consacrée aux personnes ateintes de la
maladie d'Alzheimer.
La revue
de Gériatrie : une publication du Syndicat National de Gérontologie
Clinique.
Notes
(1) Réserve faite
de la dégénérescence maculaire liée à l'âge.
(2) Passons sur
l'olfaction ; mais à condition de noter que si nous passons sur ce point
c'est parce que le sens olfactif est totalement méconnu et sous-utilisé, alors
que nous avons suffisamment d'éléments pour savoir qu'il est capital. On peut
même se demander s'il ne l'est pas d'autant plus que le néocortex est en panne ;
l'olfaction pourrait bien être chez le dément un enjeu bien plus capital que
ce dont nous allons débattre.
(3) Même s'il
est entendu que les carnassiers se servent aussi de leurs oreilles. Mais on
voit bien que si un simple bruit suffit à déclencher valablement le comportement
de fuite il faut des informations plus précises pour déclencher le comportement
d'attaque.
(4) Cela ne veut
pas dire que les choses se passent aussi simplement du point de vue neurophysiologique :
le néocortex est impliqué d'une manière probablement similaire dans les deux
perceptions. Mais les choses sont-elles parfaitement identiques ? Cela
resterait à voir.
(5) Voir W. Kandinsky :
Du Spirituel dans l'art et dans la peinture en particulier, ch. V et
VI.
(6) Naturellement
cette différence est liée au fait que les plantes ne bougent pas ; leur
seul espoir d'interaction avec d'autres vivants est qu'on vienne à elles.
(7) Lire à ce
sujet M. Heidegger, Être et temps, § 15.
(8) La fonction
de reconnaissance des visages est la plus célèbre.
(9)
Voir W. Kandinsky, ibid.
(10) Voir sur
ce point Goethe, Traité des couleurs.
(11) Document
trouvé à http://membres.lycos.fr/papidoc/31memoirecouleurs.html
Reste à se demander comment ils ont été validés : il se peut qu'ils ne
correspondent en fait qu'à nos fantasmes de soignants.
(12) Du moins
est-ce ce qu'on croit, comme ne témoigne l'usage de ce couple de couleurs pour
confectionner les transparents. Sur ce point on ne résiste pas au plaisir de
conseiller Christian Morel : Les Décisions absurdes, Gallimard éd.
(13) J.-M. Vetel :
Conception architecturale des structures institutionnelles d'accueil de patients
atteints de la maladie d'Alzheimer, http://www.revuedegeriatrie.fr/4DACTION/SNGC_envoidoc/14
(14) Voir par
exemple http://membres.lycos.fr/papidoc/10archiprothe.html


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