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Lieu de vie du dément : quelle architecture ?

docteur Michel Cavey 24/06/2004
Pour compléter cette page
• Témoignage d'un aidant familial  
• Rencontre-débat sur la maladie d'Alzheimer 
• Quelle utilisation de la couleur pour les malades d'Alzheimer 
• Canicule : témoignage d'un médecin 
• Lettre ouverte 
 

Quelle utilisation de la couleur ?

Nb : en cliquant sur les numéros des notes vous pouvez les atteindre et revenir ensuite à leur emplacement dans le texte au début du paragraphe ou de la phrase.

fleche retour en haut Notion de couleur 

Nous sommes des professionnels du soin. C'est là une question fondamentale qui est posée à la prise en charge des personnes âgées : pourquoi cette prise en charge est-elle confiée à des soignants ? Certes les plus souvent nos résidents ne sont pas en bonne santé. Reste à savoir si c'est leur état de malade qui définit le mieux ce qu'ils sont. Pourtant ce sont d'abord des gens qui mangent, qui boivent, qui s'ennuient, qui vivent. Que disons-nous quand nous disons que ce sont d'abord des malades ?

La conséquence est que nous avons tous tendance à voir le malade avant la personne, et à oublier qu'un dément ce n'est pas d'abord un dément, c'est d'abord un vieux. Et qu'un vieux ce n'est pas d'abord un vieux, c'est d'abord un humain. L'inconvénient pour nous c'est que cela n'est pas très confortable, car cela nous force à constater qu'il nous ressemble ; avons-nous vraiment envie de lui ressembler ?

En tant qu'il est vieux, le dément a des troubles visuels. C'est la première chose qu'il nous faut considérer. Mais le vieillissement normal semble engendrer assez peu de troubles de la vision des couleurs. Il y a des troubles de la reconnaissance des formes (presbytie), il y a des troubles de la vision des contrastes, il y a une moindre résistance à l'éblouissement, mais la vision des couleurs reste à peu près intacte (1) , à la réserve près des troubles liés à la cataracte.

Je n'ai trouvé aucune référence disant que la démence altérerait la vision des couleurs ; ce n'est en rien une évidence, car le dément a des troubles visuels spécifiques : on trouve fréquemment par exemple un trouble de la perception d'un hémichamp visuel, sans qu'on puisse dire s'il s'agit d'une héminégligence ou d'une hémianopsie. Le dément mange la moitié de son assiette, il faut la tourner pour qu'il mange l'autre.

Bref le dément voit les couleurs comme nous, et sa problématique de la couleur est la même que la nôtre. Ceci conduit à déplacer le problème posé : qu'est-ce que la couleur pour nous ? Et d'abord, qu'est-ce que la vision ?

fleche retour en haut Qu'est-ce que voir ?

Les deux sens principaux de l'homme sont la vision et l'audition. Ce sont les deux sens qui lui permettent de connaître les choses qui sont à distance de lui (2) . Mais il suffit de réfléchir pour constater qu'il existe entre les deux sens une différence importante.

Je ne vois en effet que ce qui passe sous mon regard, en simplifiant je dirais que pour voir il faut regarder. La vision est le sens qui me permet d'observer, de viser, d'épier, de surveiller, c'est le sens qui me sert à attaquer.

Mais si je ne peux rien savoir de ce qui se déroule derrière moi, par contre je peux fort bien entendre. Le bruit s'impose à moi, et le rôle de l'audition est avant tout un sens d'alerte. On a beau dire au guetteur : « Ouvrez l'œil » , ce qu'on attend de lui c'est qu'il tende l'oreille. Bref, si la vision est le sens de l'attaque, l'audition est le sens qui me sert à me défendre (3).

S'il est nécessaire de regarder pour voir il n'est pas nécessaire d'écouter pour entendre. C'est la conscience qui vient compliquer ce schéma en offrant des filtres : je peux ainsi refuser de voir ce que je regarde, ou d'écouter ce que j'entends. Mais du fait qu'en principe je dois regarder pour voir alors qu'il ne m'est pas nécessaire d'écouter pour entendre, la vision concerne davantage la conscience et l'audition davantage l'inconscient (quand je dis « ça me parle « , je ne suis pas dans le même registre que quand je dis « ça me regarde ») ; en caricaturant on pourrait dire que voir est une affaire de néocortex, entendre est une affaire de paléocortex (4).

Reprenons maintenant notre sujet : la vision. Voir, c'est voir des formes et des couleurs. Et de ce point de vue il y a deux choses à considérer.

La fonction la plus évidente de la couleur est d'attirer notre attention. Dans ce qui passe dans notre champ visuel ce que nous remarquons en premier ce sont les objets aux couleurs les plus vives. Il suffit de cette remarque pour concevoir que de ce point de vue la couleur a quelque chose à voir avec le son : une couleur intense s'impose au même titre qu'un bruit intense, et c'est bien pourquoi on parle de « couleur éclatante » (5) . Et on sait que la couleur est utilisée différemment dans le règne animal et dans le règne végétal : si les fleurs sont colorées, c'est pour attirer l'attention des insectes dont leur survie dépend ; les animaux, eux, ambitionnent davantage de passer inaperçus (6).

Parce que la couleur a à voir avec l'audition, elle a à voir avec l'inconscient. La manière dont les couleurs nous influencent est souvent très discrète, au point que bien souvent nous ne savons même pas de quelle couleur il s'agit. Ce langage n'en est pas moins très précis. C'est de cette manière qu'on cherche les cèpes : on ne peut se guider sur la forme car les cèpes sont souvent cachés sous la mousse ; pour les trouver il faut renoncer à chercher des formes, il faut se placer dans un état d' « attention flottante » superposable à celui dont parlent les psychanalystes, et s'intéresser aux couleurs. C'est alors certains tons de brun, des tons que pourtant on ne saurait même pas décrire, qui permettent de trouver son butin.

Mais alors si la couleur est enracinée dans l'inconscient, il est probablement prudent de ne pas trop s'en approcher. De deux choses l'une en effet : ou bien on veut manipuler les couleurs dans un but thérapeutique et cela implique une formation de type psychanalytique, ou bien on ne dispose pas de cette formation et il importe d'éviter la psychothérapie sauvage.

Mais d'autre part la forme est aussi ce qui nous sert à identifier les objets. C'est à sa forme que je reconnais une fourchette, et il n'y a aucune couleur spécifique affectée à la catégorie « fourchette ». Les choses sont à ce point tranchées que si dans un film publicitaire nous voyons une vache de couleur bleue où est écrit « Milka », nous disons que c'est une vache bleue ; et il ne nous vient pas à l'esprit de dire : puisqu'aucune vache n'est bleue, ce n'est pas une vache. Au reste de nombreux animaux, et notamment des fauves, ne savent pas reconnaître les couleurs, et le taureau de combat se guide sur les formes et le mouvement. En somme pour attaquer il n'est nullement nécessaire d'annoncer la couleur.

fleche retour en haut Mais alors de ce point de vue à quoi sert la couleur ?

Pour décrire un objet, mettons une fourchette, il faut d'abord que je montre en quoi c'est une fourchette semblable à toutes les fourchettes, il faut que je recense ses qualités essentielles. Mais quand cela est fait, il faut que je dise en quoi il s'agit de cette fourchette, il faut que je dise en quoi elle se distingue de toutes les autres fourchettes, il faut que je recense ses qualités accessoires. Cette fourchette est correctement décrite quand j'ai dit à la fois en quoi elle ressemble à toutes les fourchettes et en quoi elle s'en distingue.

La couleur est une qualité accessoire ; c'est ce qui, dans l'exemple que nous avons choisi, nous sert à distinguer deux fourchettes entre elles. C'est ma fourchette qui est rouge.

Or il se trouve que l'opération mentale qui sert à identifier un objet est complexe. Ce que j'ai devant les yeux, c'est un objet allongé, ondulé, avec une extrémité épaisse et une autre plate pourvue de quatre indentations. Tant que j'en reste là je ne sais pas qu'il s'agit d'une fourchette, et j'en suis réduit à imaginer, comme je ferais d'un objet inconnu, à quoi il peut bien me servir. C'est quand je l'ai nommée que je peux m'en servir (7), c'est par le langage que je m'approprie le monde. On sait qu'il existe dans notre cerveau des fonctions de raccourci qui permettent de reconnaître les objets sans avoir à les analyser à chaque fois (8) ;on sait aussi que cette fonction est atteinte dans la démence, et que si le patient reste devant son lavabo incapable d'effectuer le moindre geste c'est notamment parce qu'il ne sait plus identifier le savon (d'ailleurs pendant longtemps il suffit de nommer le savon pour débloquer la situation).

Dans ces conditions on est tenté de se demander s'il n'y aurait pas là un moyen de compenser la faillite des systèmes habituels de la pensée par un recours à d'autres procédés : si le dément ne sait plus identifier sa fourchette à sa forme, peut-il l'identifier à sa couleur ? C'est possible. Encore faudra-t-il dès lors se donner les moyens de gérer un tel système. Par ailleurs si on joue sur les couleurs il faut garder à l'esprit qu'on joue avec des données de l'inconscient, ce qui demande quelques précautions.

fleche retour en haut Quelles applications pratiques ?

Le résultat de notre recherche est donc assez maigre : si nous laissons de côté ce qui relève de la fantasmagorie il y a de fortes chances que tout travail sur les couleurs ne renvoie en fait à rien de vérifiable ; dans ces conditions on ne peut les utiliser qu'au hasard, et si on obtient un résultat il a toute chance d'être incontrôlable et donc dangereux. Si on veut utiliser les couleurs le plus raisonnable est donc de le faire en tenant compte simplement de l'effet qu'elles ont sur nous (9) .

Et ceci nous conduit à une remarque fondamentale : nous nous sommes demandé comment il fallait utiliser les couleurs avec le dément. Et la première chose que nous avons découverte est qu'à notre connaissance les couleurs sont pour le dément ce qu'elles sont pour nous. Une des grandes difficultés de la prise en charge du dément est bien celle-ci : la démence ne modifie pas tout ; nous avons souvent tendance à oublier ce point et à croire que tout dans notre approche du dément doit être spécifique. Cette attitude a une fonction protectrice : la démence nous fait peur et pour cette raison nous essayons de nous en démarquer en montrant en toute occasion qu'il est différent de nous. Cela nous conduit souvent à des attitudes inadaptées.

La couleur est donc pour lui ce qu'elle est pour nous (10)  : pour tout le monde le rouge évoque la chaleur, mais aussi la colère ; pour tout le monde le vert évoque le repos, et la paix. Il n'y a là aucun mystère : le feu est rouge et l'herbe est verte. L'usage des couleurs n'a donc pas de raison d'être très différent de celui qui en est fait chez le sujet non malade. On trouvera ci-après quelques conseils. (11) 

  1. Ce qu'on veut obtenir, c'est attirer l'attention du résident sur certains points, et la détourner d'autres points ; on va donc jouer sur la première fonction de la couleur.
  2. Dans un couloir, la porte de la chambre doit être d'une couleur tranchée par rapport à la couleur des murs, ce qui permet au résident de repérer la porte. Reste à l'attirer vers certaines portes et non vers d'autres : les portes des salles communes doivent être d'une couleur saturée pour attirer le regard ; par contre les portes des pièces de service doivent se fondre dans le coloris des murs. De même il vaut mieux laisser les couloirs de sortie dans l'obscurité. Ces techniques sont efficaces et simples à utiliser, mais la condition est qu'on se souvienne de ce qu'elles sont : des techniques de manipulation identiques à celles qu'on emploie dans les grandes surfaces.
  3. Ou encore, pour lutter contre l'incontinence il faut que le sujet identifie aisément les toilettes. Il faut donc bien différencier la couleur des portes de celle des murs environnants (mais il faut aussi que la couleur rappelle au sujet que ce sont des toilettes ; le mieux est que la couleur des portes des toilettes soit identique dans tout l'établissement. Par exemple des portes jaunes, les murs des chambres étant dans des tons pastels de bleu ou de vert.
  4. On facilite la réorientation en plaçant des sigles (suffisamment grands, étant donné la baisse de l'acuité visuelle) à des endroits bien visibles. Le jaune sur fond bleu donne les meilleurs résultats (12) .

fleche retour en haut La lumière

Mais les couleurs sont fortement influencées par l'éclairage. Un objet a une couleur parce qu'il réfléchit une partie de la lumière qu'il reçoit ; ainsi un objet rouge est rouge parce qu'il absorbe toutes les ondes lumineuses qu'il reçoit sauf le rouge ; cela suppose que dans la lumière qu'il reçoit il y ait des ondes rouges, et si on l'éclaire en lumière bleue il paraît noir : tous les habitués des boîtes de nuit connaissent ce phénomène, et d'ailleurs quand il n'y a pas de lumière tout est noir.

Or la lumière naturelle contient toutes la gamme des ondes. Celle des lumières artificielles est toujours plus pauvre. Les couleurs ont besoin de lumière naturelle pour être belles. La gamme d'ondes des ampoules électriques tire sur le jaune, celle des tubes fluorescents est très étroite (c'est la raison pour laquelle ils consomment moins d'énergie : si un fluo ne chauffe pas, c'est parce qu'il n'émet pas d'infrarouge).

La lumière très crue produite par des fluos nombreux, incite à fermer les yeux (d'où une diminution de la présence à l'entourage) et conduit à l'agitation de certains patients. Par un effet d'optique, ce type d'éclairage rallonge les couloirs : la lumière, réfléchie par les murs et par le sol, crée un effet de tunnel. Par contre, les tubes fluorescents sont utiles dans les armoires.

Plusieurs lampes disposées dans toute la pièce permettent d'obtenir une distribution plus uniforme de la lumière qu'une seule source d'éclairage de grande puissance.

Le problème d'éclairage le plus fréquent est la brillance : soit la lumière est trop brillante et provoque l'éblouissement, soit elle n'est pas assez brillante. Le coût d'un éclairage adéquat est minime par rapport aux bénéfices possibles. Les surfaces mates sont conseillées. Éviter les planchers cirés ou brillants.

Les couleurs foncées absorbent la lumière, tandis que les couleurs claires la réfléchissent. Si une pièce est trop sombre, peindre les murs d'une couleur pâle et poser des rideaux aux couleurs claires. Des rideaux foncés ajourés laissent passer la lumière tout en réduisant l'éblouissement. Un tissu de couleur claire placé sur le dossier d'une chaise foncée la rend beaucoup plus visible.

Éclairer toujours convenablement les escaliers de façon à éliminer les ombres qui pourraient gêner la vue. Pour les escaliers, la rampe et le bord de chaque marche doivent être d'une couleur contrastante qui en facilitera le repérage. De plus, des paliers de couleurs différentes en bas et en haut de l'escalier sont un autre moyen qui aide au repérage.

Décorer la tête des clés, à l'aide d'un ruban adhésif coloré, permet de les retrouver plus facilement. De même, on peut disposer des bouts de ruban coloré le long des interrupteurs et des prises de courant afin de les rendre plus visibles, surtout lorsqu'elles se confondent avec le mur.

Le jardin doit être considéré comme un milieu thérapeutique car ses gammes de verts et ses odeurs aromatiques stimulent les sens : aide à l'orientation.

fleche retour en haut Notion d'architecture

Cette question est mise au cœur de toute réflexion sur le projet pour une unité de déments. Quoi de plus naturel ? Pourtant, avant de l'aborder il faut se demander pourquoi on veut poser le problème de l'architecture. Il y a en effet quatre points à envisager :

  • Ce dont le dément a besoin parce qu'il est dément.
  • Ce dont les soignants croient que le dément a besoin.
  • Ce dont le dément a besoin parce qu'il est humain.
  • Ce dont les soignants ont besoin.

Il y a des besoins que nous savons identifier, et qui sont liés aux manifestations mêmes de la maladie. C'est le cas par exemple des espaces de déambulation ; c'est aussi le cas des systèmes de sécurité ; c'est le cas enfin de cette ébauche de sectorisation qui incite à regrouper les déments insomniaques pour garantir le sommeil des autres. Mais quel est le raisonnement qui nous conduit à identifier ces besoins ? On se doute bien qu'il n'est guère possible de bâtir sur de tels sujets des études en double insu avec cross-over. C'est donc en réalité à notre subjectivité que nous faisons appel.

Considérons le problème des espaces de déambulation . On dit (13) : « Les espaces de déambulation doivent être des espaces continus, les culs-de-sacs créant de la frustration et de l'agitation ; en conséquence une boucle continue est préférable à un couloir dans lequel la personne âgée ne pourrait faire que des allers et retours. Il est important que le circuit de déambulation soit largement dégagé et que tous les obstacles soient rangés le long des murs. » On dit aussi : « En revanche, il est important que ce circuit de déambulation ne se limite pas à être un simple "anneau de vitesse" (…), mais fasse passer la personne devant différents espaces attractifs qui puissent enrayer la déambulation incessante : living room, salle à manger, cuisine, alcôves d'activités, donnant directement dans le couloir, toujours dans l'idée de jalonner le parcours de déambulation d'éléments d'intérêts, et de réorientation. ».

On voit bien comment l'image se construit. D'abord il y a l'idée, exacte, que la déambulation est une nécessité psychomotrice qu'il ne faut pas contrarier. On insiste alors sur la liberté de mouvement qui doit être respectée. Ensuite il y a l'idée, exacte elle aussi, que la déambulation n'est pas que cela, qu'elle s'auto-entretient, et qu'il faut donc la canaliser. On perd ainsi de vue le fait que les deux idées sont au fond contradictoires... On bute ici sur le caractère ambivalent des choses : dans la réalité les meubles sont à la fois des obstacles qui vont gêner la déambulation et des points d'attirance qui vont permettre de la rythmer.

On ne saurait mieux mettre en évidence que nous ne savons pas quoi faire de la déambulation. Par exemple l'idée que dans un couloir le résident aura l'impression de buter contre des murs est sans doute exacte, mais rien ne dit que dans un espace circulaire il n'aurait pas, précisément, l'impression de tourner en rond. Le problème est qu'en réalité il faudrait pouvoir dire ce que le dément ressent quand il déambule, et que nous n'avons pour cela que des modèles inadaptés : tantôt la déambulation nous rappelle le besoin qui nous prend parfois de marcher de long en large, tantôt il nous rappelle nos errances sans but. Mais rien ne nous permet de dire que la déambulation du dément a quoi que ce soit à voir avec nos propres fantasmes.

En réalité la seule chose dont nous sommes à peu près sûrs s'agissant des espaces de déambulation c'est qu'il en faut. Quant à dire si les meubles qu'on peut y trouver sont des obstacles qu'il faut ranger le long des murs ou des jalons qui favorisent la réorientation, cela illustre surtout ce dont nous croyons que le dément a besoin.

On en dirait autant des problèmes de sécurité : là on mélange sans le moindre recul tous les niveaux de lecture, notamment on confond le fait que le dément peut se sentir enfermé et la culpabilité que nous éprouvons à l'idée de l'avoir effectivement enfermé. Le modèle de ce type de raisonnement est la manière dont, dans de nombreuses unités, on dissimule les portes : certes il peut être très angoissant pour le malade de se trouver face à des portes qu'il ne peut ouvrir ; mais on ne se demande pas s'il est angoissant de se trouver dans un espace où il n'y a pas de portes.

Le plus facile à analyser est sans doute le problème des aménagements dont les soignants ont besoin. Et il y en a, et c'est légitime : si l'organisation des locaux est telle que, par exemple, les soignants doivent passer un temps excessif à vérifier que tous les résidents sont présents, il va en résulter non seulement une grande perte de temps mais encore un stress inutile qui va retentir sur la qualité de la prise en charge. Mais il faut aussi se demander quelles projections on s'autorise de ce fait, et l'équipe a sûrement plus d'une fois tendance à croire que telle chose est bonne pour le malade alors qu'en fait cette chose est tout simplement bonne pour l'équipe elle-même ; par exemple le parcours de déambulation idéal est celui qui réduit le nombre de fugues ; une autre lecture pourrait conduire à se demander si un dément qui ne cherche même plus à fuguer est réellement un dément qui s'améliore.

La véritable question est sans doute de se demander de quoi le dément a besoin du fait qu'il est humain. Car l'unité de déments est un lieu de vie. Et cela pose la question de deux manières radicalement antinomiques.

Ce lieu de vie doit être adapté aux spécificités du dément : on doit lutter contre l'impression d'enfermement en privilégiant les pièces claires, vastes, ouvertes sur l'extérieur, favorisant la déambulation, avec une pluralité de centres d'intérêt disséminés en vue de favoriser l'exploration. Le dément est d'abord un être désorienté, qui se trouve dans un environnement inconnu et qu'il ne peut connaître. Ce dont il a besoin c'est de repères, et il importe par-dessus tout que son milieu de vie ressemble à son milieu habituel.

Il reste bien entendu à rappeler que la situation du dément en institution est une situation profondément anormale ; dans ces conditions il est futile de vouloir lui construire un lieu de vie qui ressemble à son milieu habituel : il n'est pas dans son milieu habituel. Mais cette simple remarque suffit à montrer dans quelle incertitude nous sommes : le plus pénible pour le dément serait-il l'étrangeté de ne pas pouvoir s'approprier son environnement ou l'étrangeté de s'être approprié un environnement qui en fait n'a rien à voir avec le sien ?

Poser cette question, c'est se poser tout le problème de la démence : le dément est-il d'abord un dément ou d'abord un humain ? Les soignants, on l'a déjà dit, n'ont que trop tendance à utiliser le paradigme de la maladie : ils maintiennent ainsi la plus grande distance possible avec ce qui leur fait peur. L'idée d'architecture prothétique (14) repose notamment sur ce mode d'appréhension des problèmes. Reste à savoir si c'est là la meilleure posture pour les résidents.

fleche retour en haut Quelques sites (tous les liens s'ouvrent dans une autre fenêtre)

  • Le site du SNOF (Syndicat National des Ophtalmologistes de France) : pour en savoir plus sur la vision, les maladies des yeux et l'histoire de la médecin oculaire.
  • Gérontologie en institution: sur la couleur, mais aussi sur tout ce qui concerne la personne âgée résidant dans des établissements spécialisés. À noter : un dosier est consacrée aux personnes ateintes de la maladie d'Alzheimer.
  • La revue de Gériatrie : une publication du Syndicat National de Gérontologie Clinique.

  • fleche retour en hautNotes

    (1) Réserve faite de la dégénérescence maculaire liée à l'âge.

    (2) Passons sur l'olfaction ; mais à condition de noter que si nous passons sur ce point c'est parce que le sens olfactif est totalement méconnu et sous-utilisé, alors que nous avons suffisamment d'éléments pour savoir qu'il est capital. On peut même se demander s'il ne l'est pas d'autant plus que le néocortex est en panne ; l'olfaction pourrait bien être chez le dément un enjeu bien plus capital que ce dont nous allons débattre.

    (3) Même s'il est entendu que les carnassiers se servent aussi de leurs oreilles. Mais on voit bien que si un simple bruit suffit à déclencher valablement le comportement de fuite il faut des informations plus précises pour déclencher le comportement d'attaque.

    (4) Cela ne veut pas dire que les choses se passent aussi simplement du point de vue neurophysiologique : le néocortex est impliqué d'une manière probablement similaire dans les deux perceptions. Mais les choses sont-elles parfaitement identiques ? Cela resterait à voir.

    (5) Voir W. Kandinsky : Du Spirituel dans l'art et dans la peinture en particulier, ch. V et VI.

    (6) Naturellement cette différence est liée au fait que les plantes ne bougent pas ; leur seul espoir d'interaction avec d'autres vivants est qu'on vienne à elles.

    (7) Lire à ce sujet M. Heidegger, Être et temps, § 15.

    (8) La fonction de reconnaissance des visages est la plus célèbre.

    (9) Voir W. Kandinsky, ibid.

    (10) Voir sur ce point Goethe, Traité des couleurs.

    (11) Document trouvé à http://membres.lycos.fr/papidoc/31memoirecouleurs.html Reste à se demander comment ils ont été validés : il se peut qu'ils ne correspondent en fait qu'à nos fantasmes de soignants.

    (12) Du moins est-ce ce qu'on croit, comme ne témoigne l'usage de ce couple de couleurs pour confectionner les transparents. Sur ce point on ne résiste pas au plaisir de conseiller Christian Morel : Les Décisions absurdes, Gallimard éd.

    (13) J.-M. Vetel : Conception architecturale des structures institutionnelles d'accueil de patients atteints de la maladie d'Alzheimer, http://www.revuedegeriatrie.fr/4DACTION/SNGC_envoidoc/14

    (14) Voir par exemple http://membres.lycos.fr/papidoc/10archiprothe.html

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