Banière alois

Accueil - Aloïs - Témoignages - Maltraitance - Liens - Plan du site

Médicalistes

Accueil>Témoignages>Lettre ouverte
La canicule a touché plus particulièrement les personnes fragiles, dont les personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer et de maladies de même type. Les hommes politiques se sont emparés du sujet pour en tirer une gloire médiatique personnelle, ou se disculper d'un état de fait qui révèle combien les structures de santé françaises manquent d'effectifs.

Lettre ouverte à monsieur Christian Estrosi, député

15 août 2003
Pour compléter cette page
 

Monsieur le député,

Je lis aujourd'hui dans le Parisien, au coeur d'une diatribe contre les 35 heures (je laisse les spécialistes du travail vous répondre sur ce point) et en réaction à ce que notre ministre de la santé a appelé une « épidémie de canicule » : « Qu'il n'y ait pas derrière les personnes de 80 ou 90 ans un parent ou un proche pour prendre les précautions élémentaires, ce n'est pas au gouvernement qu'on doit le reprocher ! C'est un phénomène d'abandon des familles face à leurs responsabilités ».

Journaliste moi-même, je pars du principe que mon confrère du Parisien a scrupuleusement retranscrit vos propos. Je vois dans votre CV que vous êtes un ancien sportif de haut niveau, que vous vous intéressez en tant que représentant du peuple au loup et à la sécurité. Peut-être que la question du vieillard et de ses proches vous est un peu plus étrangère.

Je vous écris en tant que fille unique d'une mère souffrant de la maladie d'Alzheimer (âgée de 83 ans) et modératrice d'une liste de discussion (Aloïs) qui rassemble parents, aidants et soignants de malades atteints de cette épouvantable pathologie.

Aucun d'entre nous (je parle de mes colistiers et de moi-même) ne se sent concerné par vos deux lignes sus-citées, nos parents, pour ceux qui sont encore vivants, sont restés durant cette quinzaine caniculaire aussi hydratés qu'une jeune mannequine soucieuse de l'éclat de sa peau. Si cela vous intéressait, je pourrais vous dire aux prix de quels sacrifices, de combien d'heures par jour évidemment non rémunérées mais surtout nulle part reconnues par la société de combien de vacances non prises depuis des années ; de combien de crises de nerfs, de larmes, d'angoisses ; de combien de pathologies (cancer notamment) développées à cause de l'épuisement et de la revanche du psycho-somatique. Mais est-ce que cela vous intéresse ? Est-ce que cela s'intégrerait dans le cadre d'une lutte politicienne qui me semble être la vôtre et non d'un combat pour le bien être d'un pays, de ses malades, de sa santé, de ses vieillards et de ceux qui les aident ?

Je sens que l'on s'éloigne du loup et de la sécurité, mais comme vous vous êtes exprimé sur ce sujet en ce 15 août, je vous prends comme interlocuteur.

Imaginons, monsieur le député, qu'un de ces cancers dont je vous parle, ait emporté le parent (je vous parle bien sûr du jeune parent, de celui qui se dévoue à hydrater et éventer son vieux parent) tout entier dévoué. Ou qu'il se soit suicidé à la suite d'un licenciement (qui sait, il pouvait aussi travailler chez Metal Europe ou Canal+). Ou que, recul des retraites oblige, il ait été victime d'une maladresse fatale sur son lieu de travail, mauvaise vue, mauvais réflexes. Ou même, qu'un chanteur ivre et concubin l'ait molesté à mort. Bref, que pour des raisons (volontairement polémiques et choisies dans une actualité récente) diverses et (a)variées, le vieillard soit seul, comme je le serai dans trente ans, comme le seront nombre de mes colistiers (il est, monsieur le député, des femmes sans soeurs et sans enfants et des hommes isolés de tout), quels mots trouverez-vous pour expliquer leur mort ?

Je n'espère aucune réponse de votre part. J'ignore même quel stagiaire, préposé à la destruction du courrier électronique en surnombre, aura la tâche de liquider ce courriel d'un alt-D ou command-D un peu las. J'aurais juste aimé vous faire entendre la voix de ceux qui, au jour de le jour, et pas juste le temps d'une tribune comme un tremplin, ont à faire à des vieillards. (Je ne saurais trop vous conseiller, avant votre prochaine prise de parole sur le sujet, la lecture de l'excellent essai « La nuit, tous les vieux sont gris » de Jérôme Pellissier.)

Je vous prie de croire, Monsieur le député, à ma considération électronique.

Monique Neubourg

haut

bannière les marguerites

 

© Aloïs et les auteurs des textes et illustrations - Contact