|
Accueil>Maltraitance>Relations avec le milieu hospitalier
| |
Relations avec le milieu hospitalier : ne pas baisser les brasMarguerite Mérette a été infirmière dans un Centre de Soins de Longue Durée (C.H.S.L.D.) au Québec. Elle explique ici comment on peut réagir face à la maltraitance en milieu hospitalier. |
3 janvier 2004 |
Je comprends ça, je fais par moments la même chose au sein même de mon exercice professionnel. À quoi bon se battre contre le corporatisme ? À quoi bon se battre contre les décisions politiques ? À quoi bon se battre contre des organisations, quand des gestionnaires et administrateurs sont les premiers à te dire que tu seras toujours perdant ? À quoi bon se battre quand tout le monde est sur le bord de craquer et quand le problème n'est plus ce que tu dénonces mais le fait de le dénoncer ? Comment demander davantage à qui que ce soit, qui donne déjà plus qu'il n'est capable : les familles déjà épuisées avant que le parent entre en institution, le personnel déjà laissé à ses propres moyens et déjà la cible comme la première ligne de soldats ? Comment attendre une solution de collaboration quand la relation tourne en situation de combat ? Et elle ne commence pas en combat à cause d'une attitude de la part des familles d'attaque mais à cause d'une attitude défensive de la part de l'institution ou ceux qui reçoivent les premiers commentaires. Si ce n'était de ce que j'ai vu, de mes yeux vu, je ne croirais pas, moi non plus, que quoi que ce soit puisse changer. Mais j'ai vu et je vois encore des personnes qui trouvent la force, peut-être en désespoir de cause, mais elles trouvent cette alternative préférable à l'impuissance. Il y a quelque chose qui me plaît beaucoup dans l'action des familles. D'abord, elles en trouvent la force parce qu'elles arrivent à trouver au moins une personne alliée. Ensuite, elles connaissent tellement bien ce que c'est que d'être l'aidant principal qu'elles n'iraient pas exiger quoi que ce soit de la part d'une autre famille. Je n'ai jamais vu une sorte de campagne de sollicitation culpabilisatrice de leur part, ni face à la société locale en générale, ni face aux familles qui se présentent à l'institution pour visiter leur parent. Il semble y avoir un respect de la capacité de chacun et de la disponibilité de chacun.
Si des Comités des Usagers ont réussi à prendre leur place au Québec, c'est en grande partie grâce à un organisme formé d'avocats qui les assistait, les informait et les regroupait : le CPM, (ancien nom Comité Provincial des Malades, s'appelle maintenant Conseil pour la Protection des Malades). Au moment de la création des comités des usagers, la population âgée était encore bien moins nombreuse à vivre en institution et avait besoin de beaucoup moins de soins qu'aujourd'hui. Maintenant, la présence de membres des familles est absolument nécessaire au comité. C'est ce qui a fait la différence. Là où les familles ne sont pas encore présentes ou quand elles subissent encore le « paternalisme » ou le contrôle des directeurs, l'action est moins évidente mais tout est là pour qu'elle reprenne.
Puisque nos sociétés défendent le principe qui sous-tend la défense de ces droits, puisque la société, par ses lois, appuie la formation de ces comités et de ces organismes, puisque nos institutions ont le mandat de fonctionner en intégrant leur collaboration et ont le loisir d'en profiter et de s'en servir pour le mieux-être de tous, dès que le contexte sort de la pure relation interpersonnelle, il y a déjà une sorte de pression morale et sociale dont profitent les personnes qui s'engagent. Pour moi, c'est ainsi que s'exercent la démocratie et l'éthique quotidiennes, vraiment intégrées à la vie. Il y avait longtemps que je n'avais pas eu l'occasion de voir un engagement social de la part de citoyens ordinaires. Je ne pense pas que je croyais vraiment à ça avant. J'ai changé d'avis. Je crois maintenant au pouvoir de chaque citoyen, quand il s'appuie sur les lois destinées à préserver les droits fondamentaux et quand il cherche des alliés afin de ne pas être seul et afin de trouver les informations qui sont un des principaux outils de pouvoir.
Lentement, l'histoire se construit et fait qu'on y croit. Lentement, grâce à la mémoire des « survivants », il se crée un héritage afin que d'autres résidents et leur famille n'aient pas à subir les mêmes frustrations, les mêmes incompréhensions, les mêmes souffrances, la même impuissance. Les batailles des uns commencent à servir aux autres. Sans « mémoire » chaque bataille est toujours la première et est toujours entre soldats des premières lignes de camps opposés.
Mon avis ne vaut rien, je ne connais pas assez vos structures et votre histoire. Je vous le donne parce que vous m'accueillez si gentiment sur cette liste. Je suis convaincue qu'aujourd'hui, l'action individuelle est devenue très difficile sans un minimum de support social, au moins à toute petite échelle. Pourquoi ? Parce que les enjeux sont sociaux. On a souvent cette remarque du côté des institutions : « si on accorde cela à Untel, comment faire si tous le réclament ? ». Ou si on respecte tel droit à Untel, comment respecter aussi tel autre droit à son voisin ? Les enjeux sont sociaux aussi quand il manque de ressources et que les conséquences sur la qualité minimale des soins et services sont cachées à la population. Les enjeux sont sociaux quand les dirigeants et les professionnels doivent garder le silence sur des choses dont ils se font complices malgré eux. Ils perdent leur autonomie professionnelle et la force morale qu'ils tiraient de leur engagement et qui nourrissait en même temps leur engagement. Enfin, il y a des enjeux dans la collaboration plutôt que les luttes intergénérationnelles ou entre groupes sociaux. Je termine ce trop long message en vous assurant que jamais je ne ferai pression sur qui que ce soit pour faire plus que ce qu'il ne fait. Ce n'est pas une religion, encore moins une secte, et personne n'est tenu à l'apostolat !
|
||
© Aloïs et les auteurs des textes et illustrations - Contact
|